Mai 2018, Chalon. Je suis invitée à jouer la lecture épicée de Méditerranée sur une heure de cours de français dans la classe de 6e qui voyage en jumelage avec un groupe d’adultes de la maison des seniors. Cet album est volontairement dévoilé en dernier. Les élèves ont bien compris pourquoi. C’est le seul sans espérance, les rêves de la petite fille ayant été brisés par sa noyade. Dans les autres récits, les personnages surmontent leurs difficultés.

Emmanuel, leur professeur de lettres, demande à un élève de résumer l’histoire qui vient d’être jouée devant eux puis il mène des échanges autour des questions soulevées par les jeunes. S’ensuivra un 2e résumé enrichi des remarques des uns et des autres.

1/ Comment voit-on la fillette ? Elle a des cheveux crépus, n’a pas été à l’école, vient d’Afrique, peut être d’un pays en guerre. Ses rêves témoignent de tout ce qu’elle n’a pas dans son pays mais qui sont d’accès facile pour les enfants du Nord.

2/ Pourquoi l’auteur a-t-il dédicacé l’album à sa fille ? Est-ce elle qui lui a donné l’inspiration ?  Est-ce parce qu’elle ressemble à la jeune africaine ? Est-ce parce qu’il aime sa fille et qu’il espère qu’elle n’aura pas la même destinée ?

3/ Pourquoi ces bouteilles en plastique dans la lecture épicée de l’album ? – Ce sont comme des bouteilles à la mer, dit une élève. Une autre d’ajouter : – les plastiques en mer, ce sont des déchets, à l’image des migrants, les rejetés de nos sociétés. Le papier coloré mis dans la bouteille symbolise ce qu’on a au fond de soi. Derrière les apparences se cache le cœur de l’homme !

La finesse de cette analyse me laisse pantoise ! L’auteur n’a que 12 ans et peine à l’écrit.   Victoire, puisque tel est ton prénom, bravo et merci pour ton interprétation spontanée et profonde qui nous rappelle l’orientation que nous, adultes, devrions donner à l’enseignement du français : « accueillir l’enfant et pas seulement l’élève, en partant de sa culture première pour qu’il donne du sens à ses apprentissages, qu’il en fasse des prolongements de l’expérience déjà vécue afin de devenir acteur et surtout auteur de nouveaux savoirs ».

C’est en tous cas ce que souhaite un collectif d’enseignants et d’amoureux des Lettres vives créé en mai 2018, que chacun peut rejoindre. Son manifeste défend une pratique vivante et coopérative de l’enseignement des lettres où « les élèves savent faire réfléchir, rire, émouvoir, interroger, bousculer ».
VML