Enfants et adultes m’interrogent souvent sur le prénom de mon héroïne. Est-il « vrai » ? ou s’agit-il d’un « prénom inventé » ?

Des 160 hommes, femmes et enfants arrachés à l’île de Madagascar, parqués dans les cales de l’Utile, fracassés sur les récifs de l’île de Sable*, puis abandonnés (pour ceux qui avaient survécu au naufrage) pendant 15 ans sur cette île déserte, il ne reste rien ou presque. De cette masse indifférenciée d’hommes, de femmes et d’enfants de tous âges émerge un prénom, et un seul, porté jusqu’à nous par les vents et hasards de l’Histoire : Tsimiavo.

ill. : Aline BUREAU

Ce prénom est celui de l’une des sept ultimes survivantes de cette tragédie. En langue malgache, il signifie « celle qui n’est pas orgueilleuse ». À mes yeux, Tsimiavo est surtout une battante. Elle a survécu à sa capture sur l’île de Madagascar, au naufrage du bateau qui la transportait, à 15 ans d’oubli sur un confetti corallien dénué de végétation et d’abris, au désespoir et à la mort qui rodait. Elle a même réussi l’incroyable exploit de donner naissance à un enfant sur cette terre stérile. C’est grâce à lui que nous connaissons le prénom de sa mère, mentionné phonétiquement sur son certificat de baptême​**​.

À leur arrivée sur le sol de l’île de France, le 14 décembre 1776, cet enfant, sa mère — Tsimiavo — et sa grand-mère, se virent en effet offrir le gîte et le couvert par l’intendant du roi de France. Encore fallait-il qu’ils soient baptisés pour pouvoir franchir la porte de son domaine en bons chrétiens… Tsimiavo fut ainsi rebaptisée Eve, son fils (nommé Hériniaina « la force de la vie » dans mon récit) fut nommé Jacques-Moïse et sa grand-mère se vit affublée du prénom de Dauphine (nom du navire de leur sauveteur). Seul le certificat de baptême de l’enfant est arrivé jusqu’à nous grâce aux recherches menées par Max Guérou​t​ et ce prénom… Tsimiavo qui ne doit plus jamais retomber dans l’oubli.

*l’île de Sable est aujourd’hui connue sous le nom d’île Tromelin.
** Ce certificat est conservé aux Archives Nationales d’Outremer, à Aix-en-Provence.

 Alexandrine Civard-Racinais