Ce dont les jeunes ont vraiment besoin, c’est d’être encouragés à lire seuls.
A Montceau les Mines (71), Marie-Béatrice Gros, documentaliste au collège Saint Exupéry,  s’y emploie depuis janvier, en consacrant à la lecture silencieuse des albums 30 minutes du temps imparti, chaque semaine, à l’initiation à la recherche documentaire pour les 6e.

photo cdi 2pt« Je leur demande d’être totalement silencieux dans les fauteuils lecture où ils s’installent seuls ou à deux. Ils ont juste le droit de poser des questions sur les mots difficiles ou sur l’analyse d’une image qui les interpelle. Ils jouent le jeu en ne s’éparpillant pas dans des bavardages qui les déconcentrent. A partir de maintenant (mai), on va en parler en cours et partager les questionnements soulevés par les albums en faisant comme un atelier philo. »

A Aigle (Suisse), Dominique Grob professeur de lettres fait de même. Ne pouvant faire profiter des lectures épicées tous les groupes engagés dans 1, 2, 3 albums, mais désireuse de faire connaître le maximum d’albums aux élèves, et que chaque jeune ait lu le maximum d’albums, elle impose des moments de lecture silencieuse dans la salle consacrée aux albums.

duopt« Lorsque je vois qu’un élève fait du tourisme entre les livres, en prend un, le feuillette, le pose, en prend un autre… Je m’assois à côté de lui et lui propose de lire le livre à deux en lui expliquant les mots difficiles.
Ou lorsque le livre leur parait trop long (Prince dragon ou Combien de terre…),  je leur propose de lire avec un copain ou une copine : chacun lit une page à tour de rôle à voix basse
dans un coin de la salle pour ne pas déranger les autres. Après cette phase de lecture silencieuse, on se raconte les albums que tous n’auraient pas lus, on échange sur la compréhension des textes et on relit  avec les images. On terminera l’année scolaire avec quelques ouvertures ou activités créatives. »

Comme chaque mardi matin, des résidentes du foyer-logement de Givry,  se retrouvent au salon à 11h15 pour une lecture partagée avant le repas. Ce jour là, je joue Le double (lecture épicée).

Les commentaires sur l’histoire sont brefs :
– Ça correspond bien au monde d’aujourd’hui : le harcèlement au travail et le burn-out qui s’en suit.
– Le double, ça fait penser aux robots qui feront les travaux domestiques à notre place.

Et la conversation de partir sur les bons ou moins bons souvenirs du temps où ces dames âgées de 85 à 92 ans travaillaient.
– Moi, mon travail d’éducatrice était très difficile. Pour évacuer les tensions, j’allais le soir marcher.
– J’aimais tout dans mon travail à la papeterie sauf une chose : nettoyer la vitre extérieure et intérieure avec du papier journal et de l’eau alcoolisée.
– J’ai travaillé dans la vigne et exercé différents métiers. Quand mes enfants étaient petits, je travaillais à domicile : je décorais des chapeaux dont la forme était faite dans un atelier à Givry.  Même si nos gains étaient modestes, je n’aurai pas aimé être à la place des patrons, suspendus aux commandes et ventes.
– Je confectionnais des chemises de luxe dans un atelier avec deux autres ouvrières. Nous étions installées devant des fenêtres du boulevard de la Liberté à Dijon. Quand nos patrons venaient nous voir, ils arrivaient dans notre dos, marchant sur une moquette, espérant sans doute nous surprendre à regarder les gens dans la rue. Comme si nous avions du temps pour ça !  Nous n’avions droit qu’à une pause toilette de 10 minutes et à heure fixe !
– Moi, j’ai exercé deux métiers. A 18 ans, j’étais employée aux impôts. Je m’occupais des  relances : envoyer aux retardataires un papier bleu, puis un vert, puis un huissier. Quand j’ai compris que le coût des rappels était souvent aussi élevé que le montant de l’impôt, j’ai démissionné. Je n’allais pas passer ma vie à enquiquiner des gens pour un résultat nul !  Avec mon  mari, nous avons tenu 40 ans un magasin d’électroménager au centre ville de Chalon. Le plus beau jour a été celui où j’ai vendu une machine à laver à une dame du quartier qui lavait à la main le linge de ses 12 enfants.
C’est tout simple. Un album = un thème = des souvenirs = du lien. Sans Le double,  ces dames n’auraient pas évoqué leur vie laborieuse ni découvert des points communs. Nous nous sommes quittées ravies : elles, ragaillardies, moi, enrichie.
VML

Au collège de Chagny (71), les ticket-lecture nominatifs des 300 voyageurs-lecteurs de 6e et 5e restent au CDI. Cette année, inspirées par le fil à linge de la scénographie, Fabienne Bourjon et Sandra Gaudillère, les deux documentalistes, ont eu une idée originale : les regrouper sur un séchoir mural, le numéro des classes étant inscrit sur les pinces.
etendage ticket lecture chagny

pellevoisinAvec les collègues bénévoles de la bibliothèque de Pellevoisin où j’habite,  nous avons joué  la scénographie d’1, 2, 3 albums dans la salle des fêtes un jeudi en fin d’après-midi. Le public d’adultes était composé d’une quarantaine de personnes (malgré des défections de fidèles, pour maladie ou autres obligations) la plupart fréquentant la petite bibli, mais pas que…

Ont aussi été présentés des romans lus depuis l’automne ou d’autres tout nouvellement acquis. Les retours ont été très positifs, la moitié des albums ont été empruntés dans la foulée, ainsi que des romans. Des discussions intéressantes se sont engagées en petits groupes lors de l’apéritif.

Une animation donc très sympa et appréciée, qui ne coûte presque rien, et qui, si elle surprend un peu (certains messieurs surtout, attirés par les histoires, mais déstabilisés par la forme des albums, et donc un peu déçus…) bouscule agréablement le public.

 Véronique Lottaz, responsable de la médiathèque de Déols (36)

Je n’aurais jamais pensé faire du théâtre à 85 ans, dit Madeleine. Je suis prête à recommencer, dit Jacqueline. On s’est bien amusées, dit Gigi ! Les trois amies du foyer-logement de Givry (71) ont préparé la lecture épicée de La belle vie : une répétition avec moi, deux seules. Elles ont cherché les accessoires et costumes : chemisier, cravate, perruque, tasses et plateau, etc.

Mardi de Pâques. Le salon est plein : les jeunes de  CM2 accompagnés de parents, beaucoup de résidents prévenus par un panneau et par le bouche à oreille, le personnel. Les actrices font une à une leur entrée : Jacqueline en soubrette  avec  les « nice cup of tea »  et une théière pleine, Madeleine, la petite fille en socquette et perruque rose, Gigi en homme à moustache et cravate.

Après la saynète, chacun est invité à remplir seul ou en groupe la grille (proposée par Livralire) des occasions de belle vie. Une équipe découpe les réponses et les répartit dans les bocaux correspondants. Puis une paire jeune-aîné lit en cascade les propositions écrites. Pour la séquence la vie est belle quand j’ai,  les aînés parlent d’avoir la famille autour d’eux, les enfants d’avoir quelque chose. Pour je mange : prédominance de sucreries et de chocolat. Pour j’entends : prégnance des oiseaux  et pour je vois, du soleil. Le pot plus riche est sans doute le dernier : la vie est belle quand je fais du tricot, un gâteau à partager, du poney, un bagage, des jeux,  une promenade dans les vignes, une bonne action…

Les jeunes ont chanté et partagé une poésie. Le personnel a apporté une frise gourmande. L’ambiance était joyeuse et chaleureuse. La vie est belle, dit  la directrice, cet après-midi où on est nombreux à partager un peu de sa vie, de son temps, de sa bonne humeur, tout ça à partir d’une histoire. Du coup, on se retrouve la semaine prochaine et c’est Madeleine qui présentera avec moi Demain  les rêves, aux résidents, à son arrière petite fille et ses camarades.

En inventant les lectures épicées comme voies d’approche des albums, je n’avais pas imaginé que des seniors s’en saisiraient, attirant par là leurs pairs et déclenchant des échanges à longue portée, puisque on en cause dans les couloirs et les appartements.

VML

muriellemicroA l’Ephad de Semur-en-Brionnais, c’est toujours le même enthousiasme pour 1, 2, 3 albums. Comme chaque année, les résidents  ont été associés à la préparation de la scénographie (découpage des personnages et coloriage des costumes, récupération de bambou), qu’on a jouée plusieurs fois l’après midi pour associer famille et visiteurs.  Deux semaines plus tard, l’impatience s’est fait sentir : « ça démarre quand les lectures ? »

Par laquelle commencer ?  Par celle choisie par un résident qui a répondu positivement à une énigme.  Après la lecture à deux voix, on échange, on discute, on débat, on se passe l’album, on feuillette et on se rappelle, on partage, on découvre, on crée des liens.
Et encore une fois on reste subjugué par ces propos si riches et si précieux…

Exemple avec Combien de terre faut-il à un homme ?
Le livre
: Bien écrit. Les illustrations sont belles et bien appropriées.

semurcombienterre3Moralité :
Vouloir aller loin, trop loin, ne mène à rien.
Il faut se contenter de ce que l’on fait valoir dans la limite de ses moyens.
La nature humaine ne se contente jamais de ce qu’elle a.

Passerelle avec des proverbes :
Pierre qui roule n’amasse pas mousse
Avoir les yeux plus gros que le ventre
Qui trop embrasse mal étreint
Bien mal acquis ne profite jamais.

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Nasreddin miniature 17e

Nasreddin miniature 17e

Le jour de la scénographie, j’avais été très touché par l’évocation de Nasreddin dont ma grand-mère marocaine me chauffait les oreilles. J’avais dit à Cécile, la documentaliste, que ces histoires avaient bercé ma jeunesse. Elle m’a proposé de suite un atelier de lectures partagées  des Petites histoires du monde (Bulles de savon) avec mes élèves.

Nous avons adopté le protocole en deux temps proposé par Livralire. Un temps individuel : chaque élève pioche un titre puis prépare la lecture de l’histoire correspondante. Un temps collectif avec audition des histoires et discussion sur leurs morales.Tous les jeunes se sont prêtés au jeu, même ceux qui ont des difficultés en lecture. Des élèves se sont avérés doués, d’autres stressés et fiers.  Ils ont tous écoutés. Certains échanges ont été savoureux comme celui sur les bananes salées :
– Ce soir,  je vais pas réussir à dormir parce que je serai toujours là à me poser la question, c’est quoi ça.
– Y a de quoi en faire une histoire, je te dis que moi chez moi on en mange des bananes salées.

A la fin de l’heure, Lire la suite