Au campus des métiers à Bobigny (93), on fait une lecture épicée de Paris Paradis 2 à deux groupes : des agents de sécurité et des éboueurs (CAP gestion des déchets), en majorité primo-arrivants. Les yeux écarquillés sur les images double-pages, les apprentis écoutaient dans un silence recueilli.
Sitôt la lecture, ils ont choisi un palmier (notre outil transitionnel pour noter les avis). Presque tous étaient verts.
Dans le premier groupe qui manie le français, ils ont écrit des ressentis immédiats :
– C’est une histoire réelle
– J’admire la détermination de Moussa à vouloir atteindre son rêve
– On vit les moments de ceux qui arrivent dans un pays dans une perspective de changer de vie. Malheureusement pour certains c’est un cauchemar.
– J’ai beaucoup aimé l’histoire. Un grand merci.
– Ça donne du courage pour la réussite
Dans les deux groupes, on a échangé oralement non sans émotion:
– Ça m’a fait penser à plein d’histoire qu’on m’a raconté ou qui sont la réalité. Je connais des amis qui…
– C’est en grandissant que j’ai compris le mot clandestin. On me disait que j’étais un clandestin mais je ne savais pas ce que ça voulait dire. J’ai fui Haïti pour venir en Guyane quand j’avais 7 ans. Dans la pirogue, on avait des sacs et des couvertures sur nous…
– J’aime sa détermination. Il va réussir. Quand il y a un rêve tu peux y arriver.
– Je voudrais bien savoir ce qu’il deviendra.
– Cette histoire est dramatique. Il veut réussir comme son cousin mais il risque d’être déçu. Il va devenir éboueur. Les éboueurs, c’est un métier comme un autre ! Je te signale qu’ils gagnent plus d’argent qu’un agent de sécurité.
Aux apprentis éboueurs, j’ai proposé d’écrire ou de dire quelque chose à la mère de Moussa en se mettant à sa place. Certains ont écrit dans leur langue et un de leur camarade a traduit leur texte. Pour deux d’entre eux, j’ai écrit sous leur dictée.
L’ambiance était chaleureuse et studieuse : ils ne sont pas partis tout de suite après la sonnerie. Ils m’ont remercié et en ont parlé spontanément à leur professeur référent.
Un jeune est venu me voir pour que je corrige les fautes, il était tout timide avec son texte que voici :
Chère maman ! Me voilà enfin arrivé en France.
Après une quinzaine de jours passés dans la mer
Et toutes ces souffrances que j’ai endurées durant toute cette aventure infernale
Mais comme tu as l’habitude de me dire, un jeune homme doit être ambitieux, et courageux, et c’est ce courage qui m’a permis de surmonter toutes ces étapes difficiles
Oh Chère Maman !
Je te laisserai dire à mes autres frères que la France n’est pas le pays de Paradis que les jeunes pensent, au point de sacrifier leur vie.
Me voilà à l’autre bout de la terre qui m’est inconnue, avec des civilisations totalement différentes des nôtres.
Mais heureusement grâce à des prières et l’assistance du créateur, j’ai eu la chance de faire la rencontre d’une dame qui s’appelle Audrey et qui m’a hébergé chez elle à Toulouse pendant quelques jours, avant d’aller sur Paris, et grâce à cette rencontre, j’ai découvert une autre culture ; elle aussi.
Je suis toujours à la recherche de mon frère, mais je n’ai pas trouvé son adresse.
Je vous donnerai des nouvelles au plus vite.
A bientôt ma chère maman
Ton fils Moussa.
Le lendemain, ma collègue a demandé aux agents de sécurité d’écrire quinze lignes pour répondre à l’une des deux questions au choix :
– Avant son départ : qu’est-ce qui pousse Moussa à partir ? De quoi rêve-t-il ?
– Après son arrivée à Paris : que fait-il ? Retrouve-t-il son cousin ? Est-il heureux ? »
Ils se sont plutôt bien prêtés au jeu ! Il faut savoir que l’écriture et la lecture pour nos jeunes en CAP est très difficile.
Cécile BEYER, campus des métiers à Bobigny – 93
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