Après les cartes heuristiques individuelles, des 6e du collège Denfert Rochereau à Auxerre ont été invités par leur professeur de lettres et d’arts plastiques à créer un carnet de voyage collectif à partir de la consigne suivante :
Vous êtes Théophraste, le journaliste dont les oiseaux rapportent les nouvelles du monde. Vous partez en voyage à la découverte des autres personnages des albums. Vous partagez points de vue et ressentis.
Ce travail d’écriture par équipe, réalisé sur plusieurs séances, a été illustré sous forme d’une frise accordéon.
– Bonjour et bienvenue chez moi !
Théophraste, journaliste à la retraite nous accueille dans son immense jardin ; au milieu trône une volière. Oiseaux, grands et petits, colorés ou unis, se partagent l’espace dans une belle cacophonie. Théophraste m’invite à m’asseoir face à la volière et à assister, comme il la nomme, à la conférence du soir. Les oiseaux du monde entier se côtoient, pigeons, corbeaux, sternes, mésanges ou encore colibris : je suis fasciné. Puis face à mes interrogations, Théophraste répond : chacun a sa propre histoire, chacun de ces oiseaux est le résultat d’une rencontre, d’une histoire que j’ai vécue quand je voyageais autour du monde.
Regarde ! La petite mésange perchée sur sa branche, tu la vois ? Je l’ai recueillie en Angleterre alors qu’elle n’était qu’un oisillon. Je devais interviewer Ray un jeune marathonien afro – américain au parcours atypique, quand elle est tombée de son nid. Ray était un enfant abandonné par son père. Cheveux crépus et peau noir il subissait les moqueries de ses petits camarades. Il avait pour seul moyen de communication : ses poings. Son parcours scolaire était donc difficile, il était régulièrement puni et se sentait incompris.
Je l’interromps et lui demande : comment a-t-il pu devenir aussi célèbre ?
– Un jour, alors qu’il est à nouveau convoqué dans le bureau, le nouveau principal l’écoute et lui lance un défi : tu veux te battre, très bien, direction la salle de boxe ! Puis la piste d’athlétisme pour évacuer toute sa colère. Il deviendra un marathonien de renommée internationale dans les années 80.
– Il court encore ?
– Non, blessé grièvement à une cheville, il a dû se résoudre à abandonner la course.
– Qu’est-il devenu ? Vous avez gardé contact ?
– Oui, régulièrement nous nous téléphonons. Vous ne devinerez jamais ! Aujourd’hui il est principal de collège.
A son retour de voyage, cherchant de nouvelles chaussures pour ses pieds extrêmement grands, Théophraste demanda conseil à ses proches. Tous lui recommandent la boutique « Schumacher 46 ».
Quand il entra dans cette dernière, il entendit : Vous faites du 48 ! Surpris, Théophraste regarda la personne concernée qui répondit : les médecins ne comprennent pas, j’ai recommencé à grandir, c’est étrange. Après avoir choisi ses chaussures, Théophraste proposa son aide à Adam. Ce dernier lui répondit : Oh malheureusement je ne pense pas que cela soit possible.
Théophraste tenta de comprendre le problème d’Adam. Adam confia son histoire un peu particulière. Jusqu’à l’âge de 21 ans il avait peu grandi et ne mesurait qu’un mètre dix huit. Puis Il s’est mis à grandir régulièrement,obligé de se faire fabriquer des chaussures sur mesure.
Théophraste fut interrompu par le brouhaha d’une mouette.
– Toujours aussi bruyante !
– Théophraste, quelle est son histoire à cette mouette ?
La mouette je l’ai rencontrée au milieu de la Méditerranée alors que je me rendais en Afrique. Nous voguions sur les flots calmes de la mer quand mon regard croisa au loin une embarcation. On aurait dit un bateau pneumatique.
Je pris mes jumelles et observa, le bateau dérivait au loin. Et là, enfin, au loin dans mes jumelles, je compris vite qu’il s’agissait d’une embarcation de migrants. Ils étaient là, entassés les uns sur les autres. Ils avaient l’air malheureux et démunis. Ils semblaient à la fois nombreux et pourtant si seuls devant cette immensité bleue. Mais la Méditerranée si calme sembla soudain se déchaîner, le cri des mouettes au dessus de ma tête était effrayant. Tout à coup une grande vague et… l’embarcation chavira. L’horreur, le petit canot sembla d’un coup plus grand mais resta désespérément vide. Ces occupants disparurent très vite dans la mer agitée. Nous n’avons rien pu faire » protesta Théophraste la gorge nouée. Quand à la mouette, depuis ce jour, elle ne m’a jamais quittée.
Mon bateau n’est pas sorti indemne de cette tempête. J’ai eu un problème de moteur, et j’ai dérivé plusieurs jours avant d’accoster sur une petite île. Théophraste chercha de quoi réparer son bateau. Il longea la plage quand il vit, au loin une silhouette. Il décida de la suivre mais cette dernière lui échappa. Il fit la connaissance de Tsimiavo qui lui apprit qu’il était arrivé sur l’Ile de Tromelin, perdue au milieu de l’océan Indien. Tsimiavo présenta Théophraste à sa tribu. L’accueil fut chaleureux et fit la joie des enfants. Il fut convié à partager le dîner et à profiter d’une bonne de nuit de sommeil avant de répartir. Le lendemain, le bateau fut réparé et Théophraste dut déjà repartir. On peut, dans son discours, comprendre que cette rencontre a été, pour notre journaliste, très forte en émotion. Avant de partir, il offrit à Tsimiavo sa paire de jumelles. Elle pourra dorénavant guetter l’horizon ou surveiller les tortues qui viennent pondre sur la plage.
Théophraste reprit le chemin de l’Afrique. Soudain le petit colibri vint se poser sur l’épaule de Théophraste.
– Qu’est-ce que c’est ?
– C’est Naya, le colibri, le plus petit oiseau du monde ; il vient d’Afrique.
– C’est qui Naya ?
– C’est l’héroïne d’un conte africain que l’on m’a raconté.
Quand je suis arrivé en Afrique, mon guide m’attendait devant la jungle. Le soir tombait et le guide décida que nous camperions ici, pour la nuit. Le matin, à mon réveil, je me suis retrouvé face à un léopard affamé. J’ai eu la peur de ma vie et je me suis mis à courir sans réfléchir, le léopard à mes trousses. Je me suis retourné et, j’ai vu le léopard tomber au sol. Un indigène est descendu d’un arbre et m’a demandé de le suivre avant que le léopard ne se réveille. Il m’a conduit dans sa tribu. Le soir autour du feu, il nous a raconté l’histoire de Naya. Une jeune fille qui a soufflé aux oreilles des villageois de sa tribu un rêve coloré pour éviter l’attaque armée des ennemis.
– Elle était futée cette petite Naya.
– Comme ce petit colibri, répond Théophraste
Ce dernier prit son envol devant un imposant volatile noir qui fouillait le sol de son bec.
– Théophraste, d’où vient ce corbeau ?
– Je me souviens, il y a une dizaine d’année, je suis parti à la découverte du Paraguay. En me baladant, j’ai croisé un corbeau, j’ai décidé de le suivre pour savoir jusqu’où il me mènerait. Il m’a conduit dans les bidonvilles du Paraguay. Des petites maisons faites de bric et de broc, pas alimentées en eau potable. Les familles vivaient pauvrement. J’ai croisé le regard d’une petite fille puis partagé un moment avec elle. Le lendemain, sur le chemin, un chaton affamé me suit. Je lui donne un petit bout de jambon de mon sandwich puis continue mon chemin.
Voici Sofia, elle m’attendait au bout de la ruelle. Elle me présente sa famille je découvre que tous sont passionnés par la musique. Cette musique qui sort d’instruments réalisés de bric et de broc orchestrée par un homme passionné Favio Chavez. J’ai assisté au plus beau concert de ma vie. Tous ces déchets transformés en instruments ! Des parents fiers de leurs enfants. Les enfants avec de grands sourires, c’était magique. Je pense souvent à Sofia.
Théophraste rêve souvent en regardant ses oiseaux : chacun lui rappelle ces belles rencontres, ses beaux voyages. Celui où il a rencontré Favio Chavez, ce passionné de musique qui a formé « L’ Orquesta reciclada » avec les enfants de la décharge.
Et oui, nos rêves se réalisent toujours même si nous sommes pauvres. Il se rappelle aussi d’Adam Rainer qui mesurait 2,34m.
Même si on est petit, on peut toujours grandir, trop vite parfois.
Il se souvient également de l’histoire de Naya et constate qu’ensemble nous sommes plus forts.
Il a une pensée émue pour tous ces migrants forcés, à contre coeur, de quitter leur pays pour l’inconnu. Un seul mot lui vient : fraternité.
Il pense à Ray, ce jeune garçon révolté qui a su canaliser son énergie avec l’aide d’un adulte qui lui consacra un peu de son temps. Si tu te sens seul demande de l’aide.
Son naufrage sur l’île de Tsimiavo lui fait conclure que même si l’on pense que tout est perdu, il ne faut jamais abandonner.
Qu’il soit riche ou pauvre, noir ou blanc, grand ou petit, révolté, expulsé, naufragé… On apprend toujours d’une rencontre avec l’Autre.