Dans l’album La belle vie, il y a un homme en kilt, un cottage, du thé et une scène à Central Park. Ces clins d’œil aux pays anglo-saxons me donnent tout naturellement l’idée d’associer le professeur d’anglais du lycée à la lecture de l’album avec des élèves de CAP.
Sur une heure de cours d’anglais, nous avons :
– fait la lecture théâtralisée de l’album telle que Livralire nous l’a proposée.
– distribué à chaque élève la grille des 5 occasions de déclarer que la vie est belle. Quand je mange… j’ai … je fais … je vois … j’entends …
– partagé les propositions.
– demandé à chaque élève de traduire, avec l’aide du dictionnaire, une de ses propositions en anglais. Exemples : Life is beautiful when I feel free ; when my parents are together ; when I eat fresh and natural food; when I’m listening to music.
– fait dire à haute voix les phrases en anglais.
Nous en retiendrons que :
– notre crainte de nous faire huer était vaine : cet album n’est pas « bébé ». L’écoute est attentive et les pétales (d’impression) majoritairement jaunes.
– les jeunes ont spontanément rempli le tableau.
– l’échange fut un beau moment, emprunt même d’émotion quand un gros dur avoue : « Pour moi la vie est belle, quand ma mère me dit je t’aime ».
– leurs notions d’anglais sont très limitées, la traduction est un exercice difficile.
– il nous faudrait prolonger le débat sur les définitions du bonheur.
On peut retrouver le trio enfant-adulte-lapin dans 2 albums antérieurs qui parlent aussi de la vie : Une vie exemplaire ( à trouver en bibliothèque car épuisé) et Où mène la vie ? (Hélium).
Cécile Bayer, CDI lycée Bachelard (75013)
La création de l’album Hors-piste relève d’un processus créatif peu banal. Un artiste, Tom Haugomat, a laissé libre cours à son imagination sur le thème de la montagne en composant des visuels cyan et magenta. Maylis de Kerangal s’en est emparée et a construit un récit.
Au lycée professionnel Gaston Bachelard, le professeur d’arts appliqués et moi-même nous avons proposé à douze élèves de 3e prépraPro, avant la lecture intégrale de l’album, une marche d’approche à partir des images.
Séance 1 (2 h) :
Création collective à partir des images de l’album selon le protocole suivant :
1/ Analyse collective de deux images
2/ Distribution à chaque élève d’une image de l’album avec trois pistes d’observation : ce que je vois – ce que j’imagine – un titre de séquence.
Exemple pour la page 22-23 :
Description : Il y a 2 personnages, un adulte avec une moustache, un bonnet rouge et une canne, et un enfant avec un bonnet bleu, un pull rouge, un sac à dos bleu. L’adulte montre avec sa main gauche la direction d’une maison. Tout est recouvert de neige. Sur la droite de l’image, on voit un hangar avec un troupeau de moutons, ils sortent vers l’extérieur.
Interprétation : Le fils du berger veut partir accompagner son père emmener les moutons. Mais celui-ci est en colère contre lui et lui demande de retourner dans sa chambre car il doit aider sa mère à faire à manger et mettre la table. Le petit garçon est très déçu, il voudrait vraiment partir avec les moutons qui sont déjà sur la route.
Titre : Un père en colère
3/ Chacun présente son image au groupe
4/ Attribution de noms aux personnages
5/ Mise en ordre chronologique des visuels
6/ Création collective orale de l’histoire
Les jeunes, ayant beaucoup de difficultés à l’écrit sont plus investis à l’oral. D’où l’intérêt d’utiliser un dictaphone ou l’application Book creator.
Séance 2 (2h) :
Présentation de leur production et lecture épicée de l’album Hors-piste.
Cécile Beyer, CDI lycée Bachelard (75013)
Le 9 février, sept élèves de 5e du collège Saint Dominique (Chalon-sur-Saône) sont descendus en ville à la résidence Lauprêtre, faire la lecture épicée du Prince dragon devant un parterre d’aînés qui, mardi gras oblige, s’étaient chapeautés et pour certains même costumés, une dame métamorphosée en homme, réussissant à passer pour un nouveau pensionnaire ! L’autre moitié du groupe se chargera plus tard de deux autres lectures épicées, cette fois-ci au collège, les aînés en préparant une de leur côté avec leur animatrice.
Le lien entre les 17 ados et les 17 seniors, mis en binôme, a été accru par un échange de mails avant les vacances de Noël ( adresse mail spécifique) et un petit cadeau échangé à l’occasion de la galette. Un vieux monsieur célibataire a eu l’immense joie de se faire inviter un dimanche au restaurant tenu par le père de son filleul de lecture. Si les liens dépassent les simples rencontres littéraires, c’est que ce jumelage a le temps de s’enraciner sur deux années scolaires. L’an passé, ce sont les élèves qui avaient présenté la scénographie. Cette année, ce sont les documentalistes qui ont pris en charge cette étape là, laissant les lectures épicées à la charge commune des lecteurs. Au collège, c’est au CDI qu’elles sont préparées en deux fois une heure.
Le jumelage gagnerait à sortir du cadre officiel des rencontres et à se développer dans une relation plus intime. Appel du pied a été fait par une résidente à la vue déficiente à sa complice de lecture pour venir lui faire la lecture à haute voix en dehors des heures scolaires. La jeune fille deviendrait marraine de lecture, emboîtant ainsi le pas aux jeunes Suisses de 15 ans qui pendant 10 semaines vont dans le « home » voisin de leur collège partager un album en chambre.
Qu’elle soit collective ou individuelle, l’expérience met encore une fois en avant le caractère social de la lecture qui, pour s’épanouir, a besoin d’un cadre et d’un suivi.
VML
A Lausanne, Neuilly-les-Dijon et Mâcon, 40 animatrices de voyage (bibliothécaires, documentalistes, enseignantes, CPE, animatrices, soignantes, assistantes sociales) ont participé aux ateliers de lectures épicées. Après présentation des types de lecture, on procède à la constitution de petits groupes qui découvrent plus avant le canevas et s’y essaient avant de jouer devant les autres.
L’atmosphère est chaleureuse, studieuse, enjouée.
– Ca permet de se rendre compte de ce qu’il y a à faire ; les erreurs sont instructives.
– J’étais un peu agacée par les remarques puis j’ai compris que tous les détails sont importants : le placement, les déplacements, la façon de lancer la lecture, de regarder le public, la répartition structurée des voix, le rythme de la lecture…
– Pour une fois, je suis dans le public et non face à lui, je reçois au lieu de donner.
– Ca va nous aider à guider les élèves qui vont s’emparer de ces lectures.
– Quel gain de temps !
Plus que le bénéfice technique, l’exercice montre que la lecture épicée éclaire le texte et lui donne de l’ampleur.
– Ma réticence pour Le double est tombée.
– La poésie de Demain les rêves est décuplée
– L’échange est lancé pour la Belle vie
– L’histoire n’est plus seulement une histoire, c’est la vie
En facilitant la dégustation des albums, ces journées de pratique sont indispensables, disent les groupes. Reprogrammées en 2017 dans les mêmes lieux, puissent-elles alors faire le plein et se répandre ailleurs au bénéfice des lecteurs et des auditeurs. VML
Si vous voulez connaître un peu mieux l’auteur fétiche d’1, 2, 3 albums dont un livre est retenu chaque année, procurez vous, le numéro 286 (décembre 2015) de la Revue des livres pour enfants éditée par la Joie par les livres*.
Un dossier est consacré à Thierry Dedieu. On y trouve un panorama de son œuvre prolixe (160 livres) et une interview de son complice Frédéric Marais. Et surtout Dedieu parle de son travail dans deux articles toniques et instructifs. Dans le premier il raconte son parcours, de publicitaire à auteur-illustrateur, ses recherches de techniques différentes (peinture, fusain, photo, sculpture, gravure), le noir et blanc ou la couleur, l’écriture aux ciseaux : il écrit et fait moult coupes avant d’illustrer.
Dans le second, le bonimenteur qu’il est, décrit, images à l’appui, le processus créatif pour Le zoo de Lavardens. Contrairement à l’habitude, il a développé son schéma narratif à partir d’une situation incongrue : une girafe dans les rues de New-York. L’histoire faisant son chemin, et inspiré par les daguerréotypes du début du XXe siècle, il a cherché des photos, fait des montages qu’il a dessinés au fusain puis à l’ordinateur. Quand l’album a été fini, il l’a soumis à son éditeur et la discussion a démarré ferme non sur le contenu ni le nom mais sur la couverture. Qui pourra nous dire comment se prononce Lavardens, nom d’un village du Gers proche de celui de Dedieu ?
VML
* Achat au numéro (12 euros) ou emprunt à la bibliothèque probablement abonnée.
Pourquoi ?
Lire un album à voix haute à un groupe, ça ne s’improvise pas. Il faut que le présentateur :
– connaisse l’histoire et prépare sa lecture
– soit à l’aise avec le texte
– sache comment tenir son livre bien ouvert face au public tout le long de la lecture
– s’assure que les illustrations sont lisibles de loin, même par les auditeurs installés sur les côtés
Dans tous les cas, la lecture à voix haute à un groupe est de meilleure qualité si le texte est détouré et que le livre est posé sur un pupitre ou un chevalet de table.
Quand le texte est court, écrit gros, quand les illustrations envahissent la page comme pour L’Etrange Zoo de Lavardens ou Le Prince Dragon, pas de difficultés particulières.
Quand les illustrations sont peu lisibles de loin
Quand l’album est de petit format comme Demain les rêves
Quand la compréhension du contexte suppose des connaissances historiques comme pour Carton rouge, on peut échapper provisoirement au support livre et faire une mise en espace de l’histoire qui en facilite sa compréhension et donne envie d’aller soi-même ensuite à l’original.
Comment ?
Ainsi nos propositions de lectures épicées différentes :
– Kamishibaï pour Combien de terres faut–il à un homme ?
– Saynète pour La belle vie
– Lecture-mise en scène pour Le double et Demain les rêves,
– Lecture polyphonique pour Carton rouge
– Lecture théâtralisée pour Le prince dragon
– Lecture feuilleton pour Les petites histoires du monde
Pour qui ?
Ces lectures dynamiques, partielles ou intégrales, à une ou plusieurs voix sont quasi indispensables pour partager les albums :
– avec les personnes, âgées ou non, qui ont des troubles cognitifs
– avec des jeunes, soit comme chemin d’accès avant la lecture, soit comme représentation de l’histoire après qu’on l’ait lue.
– avec les apprenants
Sans compter que les lecteurs peuvent à leur tour s’en emparer et les jouer pour d’autres à qui ils vont passer les livres. Les lectures épicées sont des outils précieux pour les chaînes de lecture que crée 1, 2, 3 albums.
Merci à Emmanuel Delorme, Véronique Guyon, Catherine Rizet, qui les ont imaginées avec moi, à Marie-France Vidal qui a préparé le panier, à Martine Débarbouillé qui a préparé des fiches complémentaires (bientôt diffusées).
VM Lombard
PS : Le panier d’animation est offert aux structures participant au voyage-lecture intergénérationnel. Il sera en vente prochainement pour d’autres structures intéressées (bibliothèques, collèges). Contacter : asso[arobase]livralire.org
La semaine précédant la présentation des albums, j’ai demandé aux élèves dans quel pays, à quelle époque et qui pouvait porter les vêtements de la carte d’invitation.
Voici les propositions pour trois vêtements :
pyjama de bébé ou petit garçon / pantalon du marchand de sable
pantalon porté par un homme sur son chameau /ceinture marocaine
pantalon du génie d’Aladin
pantalon de femme à la mode /d’adulte aimant s’habiller de manière originale
pantalon de bouffon du Moyen Âge
bottes des lutins du Père Noël / bottes de nains
bottes portées en Himalaya, au Canada, au Pôle Nord, dans les pays de l’Est
bottes de danseur mexicain / russe
bottes de bouffon du roi / clown / magicien
bottes d’un prince arabe
bottes de voyageurs riches en Mongolie
Pour le maillot rouge de Sindelar, un garçon de la classe 8P4 me certifie qu’il s’agit d’un maillot de football des années 1940-1945. Juste avant ou pendant la guerre. Il reconnaît l’aigle et les couleurs de l’équipe d’Autriche. Ce doit être un maillot de 1940 me dit-il. Quand je lui demande, fort étonnée, comment il en arrive à cette conclusion, il me répond que c’est à cause du laçage du pull. Son grand-père lui a montré des photos d’équipe de cette époque-là !
Un autre élève croit reconnaître le maillot de l’équipe d’Albanie. Mais en fait, il se trompe d’aigle (aigle bicéphale) et de couleur du blason (noir et rouge au lieu de blanc et rouge) !
Les imaginaires sont déjà en partance pour des contrées et des époques proches ou lointaines. Chacun se réjouit de savoir si une part de vérité se cache derrière ses hypothèses : réponse partielle dès cette semaine avec la scénographie et plus en détails avec les lectures épicées, à la sauce « Livralire ».
Dominique Grob, professeur de lettres, collège Aigle (Suisse)
Les invitations ont été distribuées il y a quinze jours, une affiche est dans le hall du foyer logement des Sept Fontaines à Givry (71), la scénographie est installée. Il est 14h30, douze résidents sont assis. On attend les élèves de CM2. 14h45, toujours rien. On s’en inquiète. Ils ne viendront pas. Leur maitresse qui avait prévenu de son arrêt, n’est pas remplacée. Déception pour nous, pour les anciens, et sans doute pour les enfants, comme le fait remarquer une dame qui attendait sa petite fille avec joie.
On joue la scénographie en petit comité. Les aînés regardent et empruntent des albums. Puis Sylvie et Isabelle, employées de l’établissement, créent la surprise en apportant un goûter sous forme d’une frise de mini-gâteaux emballés, collés sur des feuilles de textes. Quelle bonne idée ! Mais dommage : les jeunes voyageurs n’en verront que la couleur !
VML
Léon Tolstoï (1828-1910) nous l’a dit dans le conte Ce qu’il faut de Terre à l’Homme, adapté par Annelise Heurtier sous le titre Combien de terre faut-il à un homme ?
Steve Jobs (1955-2011), fondateur d’Apple, le disait sur son lit d’hôpital (extrait ci-dessous): l’argent fait vivre, il ne fait pas le bonheur.
« J’ai atteint le summum de la réussite dans le monde des affaires. Aux yeux des autres, ma vie est l’illustration de la réussite. Cependant, j’ai peu de gaieté en dehors du travail. En fin de compte, la richesse n’est seulement qu’un fait de la vie auquel je me suis habitué. En ce moment, je suis allongé sur un lit de malade et je vois ma vie entière devant mes yeux, je réalise que toute la reconnaissance et la richesse qui m’ont autrefois fait éprouver une certaine fierté ont pâli, et sont dénuées de sens face à la mort imminente. Dans l’obscurité, je regarde les lumières vertes de la vie diffusées sur des machines et j’entends le bourdonnement de leurs sons mécaniques, je peux sentir le souffle du dieu de la mort se rapprocher. Maintenant je sais, lorsque nous avons accumulé suffisamment de richesse qui durera toute une vie, nous devons poursuivre d’autres thèmes qui ne sont pas liés à la richesse. Il devrait s’agir de quelque chose qui a beaucoup plus d’importance: peut-être les relations, peut-être l’art, peut-être un rêve de jeunesse. Poursuivre sans cesse la richesse ne fait que transformer une personne en un être tordu, tout comme moi. Toute la richesse que j’ai gagnée dans ma vie, je ne peux pas l’emporter avec moi. Ce que je peux seulement emporter, ce sont les souvenirs qui ont pris source de l’amour. Voilà la vraie fortune qui vous suivra, vous accompagnera, vous donnera la force et la lumière pour continuer. L’amour peut voyager sur des milliers de kilomètres. »
Trois occasions nous sont données d’écouter l’auteur de Demain les rêves :
– Une séquence (de 4’30 à 18’3) de l’émission du Temps buissonnier (France culture, dimanche matin 6h30) où Thierry Cazals parle des éditions Motus et des lecteurs enfants « à qui il faut parler en vérité du monde dans lequel ils grandissent ».
– une interview sur lecteurs.com de décembre 2015 où l’on comprend que le thème central de l’album est celui de la résistante à la désespérance.
– Une interview parue dans le journal Ouest-France du 24 septembre 2015 :
Pourquoi avoir choisi d’évoquer la crise dans un livre pour enfants ?
Un écrivain est comme une antenne de la société qui l’entoure. Avant d’écrire, à l’écoute de ce qui veut se dire, je cherche au fond de moi comme au fond d’un puits. J’anime aussi de nombreux ateliers d’écriture, notamment dans les écoles. Un jour, un enfant de parents chômeurs m’a raconté que le matin, il se prépare, déjeune et part seul à l’école pendant que ses parents dorment encore… Ce genre d’anecdotes inspire mon travail. J’ai écrit ce livre et l’ai proposé à l’éditeur François David.
Vous n’avez envoyé votre manuscrit qu’aux éditions Motus. Pourquoi ?
J’ai déjà écrit quatre livres chez Motus, et j’ai une grande relation de confiance avec François David. Je sais qu’il peut se permettre de publier un album mêlant dureté et poésie. Motus a déjà édité des livres sur la faim dans le monde et sur les camps de concentration. Demain les rêves est un conte contemporain, avec une traversée d’épreuves qui transforme le héros. Agathe, orpheline, est élevée par son oncle, mais il perd son emploi. Ici, l’ogre, c’est la crise.
François David a choisi Daria Pétrilli pour illustrer le livre. Qu’en pensez-vous ?
J’aime beaucoup son travail ! Elle prolonge mon texte avec plein de jolis non-dits et de mystères. C’est très beau, cela fait rêver et c’est d’une grande profondeur en même temps. Elle mêle onirisme et réalité, avec des photographies retravaillées : c’est un travail formidable. À nous deux, nous montrons que notre monde est fait de rêves incarnés, et que la crise n’est qu’un mauvais cauchemar