Amélie, documentaliste à la Bibliothèque Universitaire (Auxerre) a envoyé aux étudiants, enseignants, agents administratifs et techniques de l’INSPE de Bourgogne une invitation d’écriture collaborative poétique à la manière de l’inventaire des jours de Luca Tortolini et Daniela Tieni (Editions Passe-Partout).
Résultat : les hauts et les bas de la vie de confinés.
Le jour de leur retour au collège, quelques 6e du collège l’Albarine à Saint- Rambert-en Bugey (01), ont plongé dans L’inventaire des jours.
Après leur avoir lu et montré l’album, Kathy Dupré, professeur-documentaliste, leur a proposé d’écrire sur le modèle de poésie libre cadencée par l’anaphore « il y a les jours ».
« Prendre le stylo n’a pas posé de problème ». Les jeunes étant présents de façon intermittente, mesure sanitaire oblige, c’est elle qui a fait l’association de leurs textes avec les illustrations originales de Daniela Tieni.
Quinze jours plus tard, elle a montré cette production à d’autres élèves touchés par les mots et le travail de leurs camarades. « Luna en avait les larmes aux yeux. »
Le principal a offert le livret en couleur aux sept élèves rédacteurs et un exemplaire sera exposé au CDI avec l’album original écrit par Luca Tortolini, publié aux éditions Passe-partout.
ils lisent et écrivent ensemble
à Talant (21)
Parole à deux résidentes de l’Ehpad les Peupliers- Bourg-en Bresse (01), inspirées par la vue de leur fenêtre et balcon.
Madeleine
Quand la dame de service ouvre mes volets, de mon lit j’aperçois les branches des arbres qui font la farandole. Je me dis « il y a du vent ce matin », on dirait qu’elles dansent, le tango ou la valse ? Il fait doux ce matin, j’ai ouvert la fenêtre. Le rideau bouge, c’est « le moineau courant d’air », venu lui aussi prendre son petit déjeuner.
J’aperçois un couple. Ils vont certainement au marché, c’est samedi, oui « ça-me-dit », autrefois, lorsque j’étais encore chez moi avec mes amies, on y allait en chœur, on prenait le bus en bavardant comme des pies. Aujourd’hui le couple a un masque sur le nez et la bouche, ils ne peuvent surement pas se raconter ce qu’ils vivent en ce moment et surtout pas se toucher, tenez-vous à un mètre, oh ! Enfant, à l’école on faisait cela quand on avait des poux.
En réfléchissant bien je crois que le monde est fou, la vie a vraiment changé, chacun pour soi et voilà tout. Reviendras-tu le bon temps d’avant ? Il faut vivre comme ça, cloîtrée. J’ai vu ma fille hier, mais derrière une fenêtre. Heureusement le téléphone nous sauve ! Et aussi ma radio et mon tricotage.
Josiane
Avant l’arrivée du virus, de mon balcon je voyais un grand bâtiment gris où les employés s’activaient. L’avenue était très animée avec une circulation dense, depuis l’aube jusqu’au soir, faisant beaucoup de bruit et de pollution. De nombreux piétons affairés circulaient et les peupliers servaient de décor aux petits oiseaux qui venaient manger des miettes.
Depuis le confinement, la vie est figée et tout a changé : il n’y a plus de vacarme mais on peut entendre une autre vie.
Au petit matin, les oiseaux chantent. Les rues sont désertes et silencieuses, de rares bus circulent pratiquement vides. Le personnel a déserté la compagnie d’assurance dont les fenêtres sont devenues aveugles. Quelques rares personnes seules, sans visage (à cause du masque) promènent leur chien en évitant les autres. Il y a aussi quelques sportifs qui arpentent la chaussée au petit trot.
J’ai vu un chat roux qui se baladait tout seul pas loin du héron qui pêchait dans la rivière. Le souffle du vent berce les peupliers qui sont plus verts et leur feuillage abrite les nids des grands oiseaux. Les moineaux viennent plus nombreux, avec leurs petits, manger sur mon balcon et s’y reposer en profitant du calme ambiant. Tard le soir on entend le merle donner la sérénade.
La nuit sera calme sans les rodéos motos/autos. D’un coup de baguette maléfique, la vie s’est arrêtée et de mon balcon, depuis, je peux voir une autre forme de vie que nous avions oubliée.
Au collège Louise de Savoie à Pont d’Ain (01), une classe de 6e avait dès février commencé à dresser et illustrer une longue liste de jours différents. En voici un aperçu.
A vous d’associer dessins et textes de cet « Ain-ventaire » fort expressif. Réponse en cliquant sur chaque illustration.
A – Il y a des jours où tu n’y arrives pas.
B – Il y a des jours où tu voudrais être à un endroit mais il y a des jours où tu ne voudrais pas y être.
C – Il y a des jours où tu te dis que tout est possible, et d’autres où tu te dis que tu ne réussiras rien.
D – Il y a des jours où tu te sens seul mais tu oublies que tu as des amis avec qui jouer.
E – Il y a des jours où tu voudrais changer le monde.
F – Il y a des jours où tu as envie de remonter dans le temps.
G – Il y a des jours où tout semble parfait, tu es heureux et sur un mal-entendu, cela devient la guerre.
H – Il y a des jours où tu t’ennuies alors que tu pourrais t’amuser avec tes amis
Caroline Raulet-Marcel (Yonne) dresse la liste de ses humeurs, ses sentiments, ses envies au fil du confinement.
Combien de ses journées ressemblent aux vôtres ?
Il y a des jours où tu te dis que tu as toujours rêvé d’être Robinson
Il y a des jours où tu te sens à l’abri
Il y a des jours où tu te dis que tu as de la chance
Il y a des jours où tu as peur pour des gens que tu ne connais pas
Il y a des jours où tu as peur pour les gens que tu aimes
Il y a des jours où tu deviens folle
Il y a des jours où tu ne supportes plus qu’on te dise de « prendre soin de toi »
Il y a des jours où tu cherches d’autres façons de dire
Il y a des jours où tu cherches d’autres façons de penser
Il y a des jours où tu te demandes si tu tiendras un journal
Il y a des jours où le monde retient son souffle
Il y a des jours où le temps s’accélère
Il y a des jours où le temps s’effiloche
Il y a des jours sans horaire, et ça te plaît
Il y a des jours où tu es inquiète
Il y a des jours où tu es en colère
Il y a des jours de vertige
...Lire la suite
Il y a des jours où tu te demandes si les enfants vont retourner à l’école un jour
Il y a des jours où tu prends ton café au soleil
Il y a des jours où tu ne sais plus quel jour on est
Il y a des jours où tu prends le lilas en photo pour l’envoyer à tes amis
Il y a des jours où tu es abattue
Il y a des jours où tout t’agace
Il y a des jours où tu as l’impression de vivre un événement historique
Il y a des jours où tu es contente qu’un grain de sable fasse vaciller les certitudes
Il y a des jours où tu te demandes l’effet que cela t’aurait fait à un autre âge de ta vie
Il y a des jours au ralenti
Il y a des jours où tu apprends une mauvaise nouvelle.
Il y a des jours où tu arrives à faire l’école à la maison
Il y a des jours où tu te demandes à quoi ça sert
Il y a des jours où tu te demandes qui a inventé le télétravail
Il y a des jours où tu écris de longs messages
Il y a des jours où tu penses à ce que tu aimerais écrire
Il y a des jours où tout s’accumule
Il y a des jours où tu te demandes comment tu faisais avant
Il y a des jours où tu en as assez des défis de l’école
Il y a des jours où tu culpabilises de ne pas réussir à profiter de tout
Il y a des jours où tu te dis que tu devrais faire du sport
Il y a des jours où tu n’as pas le temps
Il y a des jours où tu dors longtemps
Il y a des nuits où tu n’arrives pas à dormir
Il y a des soirs où tu regardes la lune et les étoiles, parfois un avion qui laisse sa trace
Il y a des nuits où tu rêves, beaucoup
Il y a des jours où tu te promets que tu arrêteras de lire la presse
Il y a des jours où tu ne voudrais pas être réanimateur
Il y a des jours où tu te demandes si les soignants vont survivre
Il y a des jours où tu de demandes si c’est normal d’envoyer des gens désarmés à la guerre
Il y a des jours où tu essaies de calculer si le nombre de morts a augmenté par rapport à la veille, mais les chiffres se mélangent
Il y a des jours où tu te dis que ça fait longtemps que tu n’as rien lu sur l’Italie
Il y a des jours où tu repenses à ton voyage à Venise
Il y a des jours où tu te demandes si tu voyageras à nouveau un jour
Il y a des jours où tu te réjouis de ne pas être toute seule
Il y a des jours où tu lis de beaux textes
Il y a des jours où tu lis toujours la même chose
Il y a des jours où tu partages tes lectures
Il y a des jours où tu as envie d’écrire
Il y a des jours où tu ne fais rien de ce que tu avais prévu
Il y a des jours de ménage
Il y a des jours où tu aimerais ranger
Il y a des jours où le désordre t’oppresse
Il y a des jours où tu t’assois dans l’herbe de ton jardin
Il y a des jours où tu te dis que le printemps est là
Il y a des jours où tu proposes un pique-nique
Il y a des jours où tu aimerais t’ennuyer
Il y a des jours où tu aimerais être seule
Il y a des jours où tu aimerais être efficace
Il y a des jours où tu es usée
Il y a des jours où tu te sens cachée
Il y a des jours de légèreté, d’obligations annulées
Il y a des jours où tu te demandes si on n’est pas en été
Il y a des jours où tu repenses aux fêtes de famille
Il y a des jours où tu veux sortir
Il y a des jours où tu sors ta voiture
Il y a des jours où tu remplis ton caddie et où tu cherches un coin discret pour tousser
Il y a des jours où la ville est endormie, comme par canicule
Il y a des jours où tu découvres que ta pharmacienne a mis un masque
Il y a des jours où tu te demandes si le masque va devenir obligatoire
Il y a des jours où tu te dis que les masques cachent tout, même le regard.
Il y a des jours où tu te dis que tu vas acheter un smartphone quand ce sera possible
Il y a des jours où tu te dis que tu ne sais pas coudre
Il y a des jours où tu te demandes si tout ça n’est pas un rêve
Il y a des jours où tu te demandes si tout ça va s’arrêter un jour
Il y a des jours où tu te demandes si tu vas revoir ceux que tu aimes
Il y a des jours où tu parles avec tes voisins au-dessus du grillage
Il y a des jours où tu n’embrasses pas un ami, croisé par hasard
Il y a des jours où tu veux retrouver l’insouciance
Il y a des jours où tu travailles en pyjama
Il y a des jours où tu veux que les enfants s’habillent
Il y a des soirs où tu veux que les enfants se mettent en pyjama
Il y a des jours où tu te fâches
Il y a des jours où tu consoles
Il y a des jours où tu cajoles
Il y a des jours où tu t’enfermes
Il y a des jours où tu passes un long coup de fil
Il y a le jour où tu t’aperçois que tu as arrêté de faire des « to-do » listes
Il y a des jours où tu te dis que le congélateur est une belle invention
Il y a des jours où tu cuisines
Il y a des jours où tes enfants ne veulent que jouer
Il y a des jours où tes enfants jouent à l’école
Il y a des jours où tu es scotchée à ton écran
Il y a des jours où tu apprends de nouveaux mots
Il y a des jours qui se répètent
Il y a des jours uniques
Il y a des jours où tu te demandes comment ce sera d’être en vacances
Il y a des jours où le facteur passe
Il y a des jours où tu entends les oiseaux et les grenouilles du voisin
Il y a des jours où tu entends le bruit des tondeuses
Il y a des jours où le soleil te fait du bien
Il y a des jours où tu te demandes les souvenirs qui te resteront de cette drôle de période
Il y a des jours où tu te demandes s’il pleuvra à nouveau un jour
Il y a des jours où tu te demandes s’il n’y pas une erreur
Il y a des jours où tu remets tout au jour d’après
Il y a des jours où tu as envie que le monde change
Il y a des jours où tu sais qu’il ne changera pas.
Il y a des jours où tu as peur que le monde change
Il y a des jours où tu espères quand même
A Chalon, pour la 3e rencontre intergénérationnelle entre des 6e du collège Camille Chevalier et les seniors de la ville, nous avons découvert ensemble L’inventaire des jours selon le protocole de lecture épicée créé par Livralire.
1/ Les participants installés en cercle piochent chacun une phrase tirée du livre. Ensuite, on fait un 1er tour au cours duquel chacun lit sa phrase à voix haute. Puis, à la faveur d’un 2e tour, chacun se prononce sur la journée décrite : heureuse, difficile ou moyenne, glissant sa phrase dans le bocal correspondant, jaune, bleu ou translucide.
Une élève fait remarquer que le bocal bleu est le plus fourni. On compte. Effectivement, il y a 9 jours heureux, 13 difficiles, 7 neutres.
2/ Trois personnes, placées à intervalles réguliers dans le cercle, feuillettent simultanément et en silence l’album, pages tournées vers l’ensemble des lecteurs, afin de mettre l’accent sur la force symbolique des illustrations et donner l’envie à ces mêmes lecteurs de reprendre seuls l’album. On fait, par exemple, un arrêt sur image à la page du renard et du lapin. En quoi les deux masques illustrent-ils « Le jour où on fait quelque chose, alors qu’en réalité on aimerait faire autre chose » ? Les commentaires sont intéressants.
3/ Chacun est invité à partager en petit groupe (3 élèves, un adulte) oralement puis par écrit une source de bonheur et un souvenir d’attente.
4/ Quatre binômes intergénérationnels lisent successivement les contributions, très concrètes des jeunes, pleines d’émotion des aînés. Bien que les contributions soient anonymes, les seniors ont identifié celle de la dame pour qui l’entrée en résidence seniors fut une grande joie. Sur invitation du professeur, elle explique pourquoi.
5/ De retour en classe, le professeur de lettres a repris certaines des phrases de l’album qui avaient été tirées au sort. Il a fait réfléchir les élèves sur le sens de ces formules. Par la recherche et la formulation d’exemples concrets, les élèves ont éprouvé la portée d’une formule comme « Il y a des occasions pour dire un mot ou deux », ont compris que ces paroles banales, qu’on dit chaque jour sans plus trop y penser, peuvent être source de réconfort, de bonheur, de partage, et qu’on aurait donc tort de se priver de les échanger.
Ils ont ensuite aussi repris les contributions des seniors. Exemple : qu’est-ce qu’un adulte veut dire quand il écrit : « J’attends que l’été revienne ». Quelles raisons a-t-il d’attendre cette saison ? Les élèves ont alors recherché quelles réalités le mot « été » véhiculait pour un aîné. De ce point de vue, le témoignage de la dame heureuse d’intégrer une résidence seniors les a aidés dans la formulation de ces raisons : ils avaient déjà des exemples à leur disposition. Ils en ont conclu que adultes et enfants partagent tous des pensées, des réflexions, des émotions, des sentiments, des sensations finalement souvent identiques, communes. C’était l’intention du professeur, que les élèves perçoivent qu’aux images, aux mots, souvent abstraits, de l’album et des aînés correspondaient un vécu, des réalités très concrètes, à découvrir ou partager.
En donnant la possibilité de voir avec d’autres yeux que les siens, cet album a fait faire à chacun une expérience d’altérité.
Emmanuel Delorme et Véronique M Lombard