Dans le Brionnais, chaque année, deux animatrices, avec leurs collègues, embarquent dans 1.2.3 albums les résident.e.s de leur Ehpad respective, Bouthier de Rochefort  à Semur et Val d’Arconce à Marcigny.

Les échanges qui suivent les lectures sont toujours très riches. Ils varient d’une séance à l’autre selon le livre, le mode de lecture choisi par l’animatrice, le groupe, l’angle de la discussion. Exemple :

A Marcigny, le public a profité d’une lecture « classique » de l’Expédition. Les illustrations ont séduit, beaucoup moins le texte ! Les aine.é.s ont trouvé que l’héroïne était indépendante, dégourdie et forte. « Elle a reçu de ses parents et a su donner à son enfant » comme eux-mêmes ont essayé de transmettre à leur famille le goût du travail, la lecture, le respect des autres, le savoir, l’effort, l’amour, mon métier, la religion, les souvenirs, la curiosité, le goût d’apprendre.

A Semur-en-Brionnais, les auditrices et auditeurs ont, eux aussi, admiré le courage et le sourire permanent de l’héroïne. Par contre, ayant entendu deux fois le texte via la  lecture épicée proposée par Livralire, ils ont été saisis par sa poésie. Les uns ont évoqué les grandes expéditions maritimes menées par Magellan, Vasco de Gama ou encore Christophe Colomb. D’autres se sont souvenus de certains séjours de vacances ou de promenades en bateau sur le canal à Digoin ou sur le lac de Villerest.

Le groupe a été invité à compléter les verbes qui rythment la lecture épicée.  Le résultat est bluffant ! Chaque proposition mériterait qu’on en discute…ensemble.

Chanter la Marseillaise
Chercher les poux et les cheveux blancs
Trouver fortune
Voir clair
Donner sa chemise
Vieillir en âge et en sagesse
Aimer à perdre la raison
Apprendre ses leçons
Jouer aux cartes ou au scrabble
Batailler pour gagner sa croûte
Tenir bon encore et encore
Aider son prochain
Affronter le mal
Tracer son chemin
Vouloir, c’est pouvoir
Marcher quand on peut
Rêver comme un ange
Construire sa maison
Regarder les étoiles

Murielle Daumur, animatrice Ehpad Semur-en- Brionnais

 

En lisant aux élèves L’expédition, nous avons, la documentaliste et moi, mesuré combien la mise en voix de l’album le mettait en valeur. C’est un texte à dire à voix haute, pas seul(e) dans son coin.

Une fois l’album partagé, nous avons proposé à chacun des voyageurs :
– d’imaginer où, pourquoi et avec il partirait.
– de réaliser un petit bateau avec « quatre bouts de bois, deux bouts de ficelle » et d’inscrire sur les voiles la destination « En route pour » et la motivation « Pour »

Puis, lors d’une pause méridienne, nous avons offert cette lecture épicée à tous les élèves et au personnel du collège qui le souhaitaient. Des collègues sont venus, le principal aussi. Les invités ont, à leur tour, construit un bateau de papier avec justification et nom du cap à atteindre.

La lecture et l’atelier origami ont créé une complicité entre élèves et adultes, appréciable et appréciée de tous.

Delphine NAUCHE, professeure de français au collège de Pont-de-Vaux (Ain)

Après chaque lecture épicée, je fais raconter oralement aux élèves l’histoire qu’ils ont vue et entendue, de sorte qu’ils puissent, ensuite, en appréhender au mieux le sens, la portée.

L’étape suivante du feuilletage de l’album, en petit groupe, redouble alors d’intérêt. Connaissant déjà le texte, les élèves lecteurs portent une attention féconde aux illustrations.

Ainsi, à la dernière double page de l’Expédition (ci-dessus rognée), a-t-on repéré, en haut, à gauche, un nuage qui prend la forme de l’héroïne de l’album, son habituelle pipe vissée aux lèvres. Son enfant a grandi, sa propre expédition commence : son voilier file sous l’œil bienveillant de sa mère, bien présente dans son esprit, ses pensées, qu’elle soit déjà morte ou encore vivante.

Emmanuel DELORME, professeur de lettres / Collège Camille Chevalier – Chalon-sur-Saône

A la médiathèque de Saint-Maur dans l’Indre, nous proposons quatre fois par an, en partenariat avec le service Jeunesse de la ville, des ateliers intergénérationnels : jeux intérieurs et extérieurs, cuisine et lecture partagée.
Les volontaires s’inscrivent, souvent en binôme familial (un enfant, un grand parent). Nous veillons à avoir la parité entre jeunes et adultes.

Celui sur la lecture se déroule en trois séances : deux pour préparer une lecture épicée d’1.2.3 albums, une pour la partager avec un public.
Cette année, nous avons choisi de jouer l’Expédition.
Les huit participants, quatre jeunes de 10-11 ans, Maxime, Inès, Emma et Marine et quatre adultes, Marie-Anne, Colette, Maryse et Gérard ont :
– formé un duo autre que familial
– choisi la tranche de vie de l’héroïne de l’album qu’ils voulaient raconter
– fait deux répétitions à la médiathèque
– partagé le 18 avril la lecture avec quinze résident.e.s de l’Ehpad.

Le succès a été à la hauteur de l’investissement des lecteurs. Mieux, des liens se sont tissés pendant le goûter servi par les enfants, qui ont ensuite raccompagné les ainé.e.s. Spontanément, ils ont proposé aux résidents de revenir à titre individuel pour lire dans leur chambre.

Au troisième trimestre,  en plus d ‘être parrains de lecture, ils seront colporteurs d’histoires : avec leurs complices adultes, ils ont décidé de faire aussi une lecture à leurs pairs du centre de loisirs.

Karine Chalumeau-Berberian, responsable de la médiathèque Raymonde Vincent (Saint-Maur-36)

Après la lecture épicée puis la lecture cursive de l’Expédition, j’ai invité les résident.e.s à choisir un verbe qui leur parlait. Au fur et à mesure les langues se sont déliées et les souvenirs croisés. Ils ont été unanimes : « les verbes on les a tous vécus ! »  Exemples :

DONNER. J’ai beaucoup donné dans ma vie pour ma famille, les voisins, les collègues.  Mais j’ai beaucoup RECU en échange.
Dans notre enfance, on avait peu mais on savait AIDER sans contrepartie.
AIMER. J’ai aimé mon mari et mes enfants. J’aimais mon travail à la ferme, surtout m’occuper des petits veaux.
CHANTER.  Ma voix s’est éteinte. Ici je ne fais que fredonner, en souvenir du temps où je chantais de l’opérette en public à Narbonne.
TENIR BON. Toute jeune mariée, pas facile de vivre sous le même toit que mes beaux-parents.
BATAILLER. Artisan ou paysan, il fallait travailler sans relâche pour gagner de quoi vivre.
TRACER. Moi à 16 ans mon père m’a dit :  tu as le brevet. Tu peux devenir fonctionnaire. J’ai fait toute ma carrière à la Poste avec la sécurité de l’emploi et une paye chaque fin de mois.
REVER. Je rêve très souvent que je vole.
VIEILLIR, c’est accepter d’être diminué. C’est avoir la chance comme ici de ne pas être seul.
JOUER. On jouait beaucoup, enfants à l’école, plus tard avec nos petits-enfants.
PENSER. Assise dans mon fauteuil, je vois défiler le passé. Je pense surtout à mes grands-parents.
VOIR. Je revois très souvent une scène marquante pendant la guerre. Trois soldats allemands arrivent dans notre ferme pour cuber le foin réquisitionnable pour leurs chevaux. L’un d’eux tend à ma petite soeur un bonbon. Ma mère d’un regard noir lui fait comprendre qu’elle doit refuser. L’homme sort alors d’une poche intérieure une photo de sa femme et ses deux enfants.
Pendant la guerre, à la campagne on a beaucoup AIDER de gens en route vers la zone libre. On les cachait dans l’écurie.

J’aurai aimé que des jeunes entendent ces bribes de vie partagées spontanément et sans amertume.

VML

 

L’Expédition de Stéphane Servant et Audrey Spiry, éditée par Thierry Magnier, c’est l’histoire d’une vie, présentée comme un carnet de voyage poétique et dynamique avec pour chaque tranche d’âge (enfance, jeunesse, adulte et vieillesse) des occupations, des rêves, des obstacles, des rencontres et des chansons !

D’où l’idée, pour la « lecture épicée », de composer une frise de verbes d’action. On les pose au fil de la lecture du texte, à une seule voix (comme sur la vidéo ci-dessous) ou à quatre voix, une par figurine. Le son de la mer (ocean-drum ou enregistrement) peut être envoyé par un complice qui répète l’encouragement :  En avant toute, plus loin plus loin…

Cette lecture interprétative*, est suivie de la lecture intégrale de l’album par quatre personnes (une par tranche d’âge) placées dans l’assistance, face à une cinquième qui, livre en mains, tourne les pages face au public.

Le public sera invité à rebondir sur ce parcours de femme battante à partir des verbes ou des illustrations foisonnantes d’Audrey Spiry que chacun aura pu, aussi, dévorer des yeux de près !

*dessins : Marie Anne Wettstein.

 

Premiers retours :
« La lecture épicée de L’expédition avec des élèves d’Ulis et des  jeunes en situation de handicap, que du bonheur ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas passé un si chouette moment au CDI. En projet : un atelier maquette et un atelier écriture à partir des verbes. »

« Les vieilles dames du foyer-logement, d’abord touchées par la poésie du texte, ont été éblouies par l’illustration de l’album. »

« L’attention des patients du Centre Médico-Psychologique d’Argenton (Indre) a été nourrie par la mise en scène de la lecture épicée et la poésie du texte que nous avons prolongée avec à la chanson « Savoir aimer » de Florent Pagny. Nous avons ensuite cherché ensemble les verbes communs aux deux oeuvres. Avec leur animatrice, chacun choisira un de ses verbes et inventera un acrostiche. »

 


Titre : L’Expédition  
Auteur : Stéphane SERVANT
Illustratrice : Audrey SPIRY
Editeur : Thierry Magnier
Parution : 2022
Prix : 17,50 €

Une petite fille des îles est attirée dès l’enfance par le large. Elle bricole patiemment une embarcation puis prend la mer avec l’aval de ses parents. Au fil des années, elle croise des bateaux, subit des tempêtes, affronte des monstres, fait des rencontres dans les ports, accueille un enfant à qui transmettre des chansons, un bateau et surtout la liberté !